La
première fois avec Amel Mokhtar
Une écrivaine à la plume bien trempée
Compte tenu des études qu’elle a faites, rien ne la prédestinait à devenir
écrivaine. Après un passage en 1984 à la faculté des sciences de Tunis où
elle a effectué durant trois années des études en sciences naturelles, Amel
Mokhtar a tout de suite compris que les laboratoires ne sont pas sa tasse
de thé. Elle ne tarda pas à trouver du travail dans un quotidien «
Echourrouk», puis se succéderont plusieurs autres passages dans divers
autres journaux: «Essabah», «Biladi», «Horria». Actuellement, elle
travaille au journal « Essahafa ». Parallèlement, elle entreprit diverses
activités à la télévision et à la radio tunisienne. Depuis 1990, elle
contribua dans plusieurs journaux arabes tels que «Alif ba» (Irak), «El
Qods el arabi» (Londres), «El mar’a el youm» (Emirats). Ecrivaine
sulfureuse, ses livres ne laissent pas indifférent. Elle en compte cinq
dont trois romans: «Nakhb El hayet», «El-koursi el-hazzez» et «Maestro»
(Prix Comar 2006) et deux nouvelles: «La taâchqi hatha rajoul», et
«Lil mared oujh jamil». Son nouveau roman paraîtra incessamment.
— La première fois, quel est l’auteur qui vous a donné envie d’écrire?
— J’avais environ 14/15 ans, je vivais dans un petit village, Le Sers au
Kef, ma seule distraction était la lecture. Mon auteur préféré était Ihsen
Abdelqouddouss. Ses romans me transportaient vers l’univers de la liberté.
Je m’identifiais à ses personnages d’étudiantes libres qui allaient à la
plage et vivaient des aventures passionnantes. Avec un style simple, léger
et sans ambages, il traitait des questions sociales avec un tel humanisme
que tout le monde peut comprendre. Cela a été un véritable choc à l’époque
où j’étais encore adolescente. C’est peut-être en cela que réside sa
réussite.
— La première fois, quel est le genre littéraire que vous avez choisi pour
écrire vos textes?
— L’humeur. Ce genre m’a permis de m’exprimer à voix basse. Je n’étais même
pas consciente de ce que j’écrivais. Généralement, les jeunes commencent
par la poésie, mais moi je me suis tout de suite embarquée dans la prose.
En fait, j’écrivais ce que je pensais. J’avais la sensation que ce que je
relatais ne pouvais concerner que ma propre personne. J’écrivais et je
cachais mes textes non pas par crainte mais parce que je pensais que
c’était de l’ordre de l’intime. L’idée de me faire éditer ne traversait pas
du tout mon esprit. D’ailleurs, j’aime que quelqu’un d’autre se charge de
la phase de l’édition. Une fois l’écriture terminée, je ne veux plus
m’occuper de la suite, ce n’est pas mon rôle.
— La première fois, qu’est-ce qui vous a poussée à écrire de nouveau?
— Durant mon adolescence, j’ai trouvé un certain plaisir à écrire. Ensuite,
j’ai arrêté en raison de la préparation de mon bac. A la fac, un incident
m’a décidé de reprendre l’écriture. C’est la douleur qui m’a poussé à
écrire. En 1984, La première fois que j’ai écrit un texte, ma réaction a
été de le garder pour moi et de ne pas le publier. Ma rencontre avec le
poète Ouled Ahmed a été déterminante. Il a vite compris que j’avais des
capacités à écrire. Pour confirmer son intuition, je lui ai donné à lire un
texte. Son impression était bonne, il a même trouvé qu’il ne manquait pas
de poésie. Il m’a demandé la permission de le publier dans un journal. Le 4
avril le jour de mon anniversaire le texte est paru dans l’hebdomadaire
«Essadâ». Ma joie était immense et je n’ai jamais était aussi heureuse
malgré les cinq livres que j’ai publiés. Et ce bonheur n’a pas d’égal.
— La première fois que vous avez rencontré votre éditeur, comment cela
s’est passé?
— Par la suite, cela commençait à s’éclaircir pour moi. J’ai alors publié
des nouvelles pour lesquelles j’ai reçu un certain nombre de récompenses.
Prix festival des jeunes auteurs en 1986 pour une nouvelle dont j’ai oublié
le titre et un 1er Prix au club Tahar Hadded 1998 pour une nouvelle
intitulée «l’anniversaire». L’année suivante, lors des JTC, j’ai fait la
connaissance de Souheil Driss, propriétaire de la maison d’édition
libanaise «Dar El Adeeb» et de la revue «El Adeb», qui était invité à
cette session. Je l’ai interviewé et saisi l’occasion de lui faire lire une
nouvelle que je voulais éditer. Après deux jours, il m’a rendu le texte en
me faisant comprendre que c’est une nullité et que par conséquent il ne
pouvait pas le publier. Depuis, je n’ai plus écrit un mot durant
trois ans. Même si par la suite j’ai écrit c’était pour moi-même lors de
mes déplacements à l’étranger. J’ai refait une autre interview à Souheïl
Driss avec qui j’ai gardé d’excellentes relations. Un jour, au cours d’un
déplacement au Maroc, je l’ai rencontré tout à fait par hasard. Il m’a
demandé si je gribouillais encore, je lui ai dit que j’écrivais des petites
choses personnelles. Il a bien voulu les lire. Et à ma grande surprise, il
a beaucoup apprécié ce qu’il jugeait comme étant un roman et m’a suggéré
de l’éditer une fois que je l’achèverais. Ce roman est «Nakhb
el Hayet». En 1992, alors que j’étais en mission au Liban comme
journaliste, il m’a apporté l’épreuve pour donner le bon à tirer. J’étais
tellement préoccupée par les sorties que je ne me suis pas aperçue de
l’importance de l’événement.
— La première fois que votre livre est paru, quelle a été la réaction des
lecteurs et de la critique ?
A Tunis, le livre a eu un grand écho. Beaucoup s’étonnaient de la liberté
de ton avec laquelle je traitais mes personnages féminins. Cela a choqué
plus d’un, et heurté la sensibilité masculine. Dans notre
littérature, on ne nomme pas les choses par leur nom. Moi, j’ai eu
l’opportunité de les nommer. Le personnage de «El korsi el hazez» est
tunisien à 100%. C’est une femme cultivée avec des problèmes existentiaux
et qui fait fi des problèmes de moeurs. Cet aspect a attiré l’attention des
critiques tunisiens et arabes. Cela m’a surpris. L’écrivain Taoufik Baccar
a déclaré au cours d’une rencontre que ce livre est un tournant dans la
littérature tunisienne. Depuis, j’ai pris conscience que je suis sur une voie
difficile. Je n’ai pas choisi le roman comme genre. Ce qui me préoccupe
avant tout dans l’écriture est la question de la liberté et les
problèmes se rattachant aux profondeurs psychologiques des gens. La base du
roman est l’être humain avec ses angoisses existentielles, le reste, les
questions sociales ne sont que des accessoires qui entourent et
contextualisent le roman qui est un témoignage d’une époque. En principe,
n’importe quelle femme vit son propre combat. L’écrivaine en particulier,
si elle réussit, elle continue sinon elle est vouée à l’oubli. Ma réaction
par rapport à ce que les gens me reprochaient a été d’écrire un autre roman
«El korsi el hazzez». Le livre est paru après 6 ans mais pendant ce
temps-là j’ai écrit trois livres. Je ne jette jamais mon crayon par terre.
— La première fois que vous vous êtes rendue compte que vous êtes écrivain,
est-ce que cela vous a angoissé ou au contraire vous avez pris la question
à la légère ?
— C’est une sensation qui m’a angoissée. Depuis que j’ai obtenu le prix
d’encouragement de la création littéraire du ministère de la culture en
1994, j’ai compris qu’être écrivain n’est pas un jeu mais une
responsabilité très grande. Le rapport entre le lecteur et le livre est un
moment intime parce qu’il peut transformer un être. L’image et la musique
sont des moments éphémères. J’ai commencé à travailler plus
sérieusement et à m’investir davantage dans le projet.
— La première fois que votre éditeur vous a demandé de supprimer des
paragraphes de votre livre, quel sentiment vous a envahie?
— C’est tout le livre qui a été lu de manière incorrecte. Cela ne concerne
pas le contenu lui-même du roman mais, parce que c’est une femme qui a eu
l’audace de s’exprimer autrement. Il y a des thèmes que la femme écrivain
ne peut pas aborder. Mon combat est de traiter de problématique qui
touchent la condition de la femme qui subit des pressions quotidiennes. La
femme dispose incontestablement de droits mais qu’elle n’utilise pas.
Certains pensent que je suis contre ce projet qui défend la femme, alors
qu’il s’agit du contraire.
— La première fois, à qui avez-vous dédié votre premier livre et quelles
sont les raisons qui vous poussent à continuer à écrire?
— Je l’ai dédié à l’autre femme qui est en moi. «A cette autre femme qui
est en moi et qui rayonne parfois, je l’aime et elle me fait peur». En fin
de compte, c’est elle qui me pousse à écrire. La femme de tous les jours,
quelconque que je suis, ne fait rien si elle n’avait pas derrière elle
cette autre femme qui s’insurge et lui permet de m’interroger. C’est elle
qui m’emporte et me pousse à écrire. Cette dédicace je l’ai écrite
inconsciemment. En fait, je suis deux femmes, l’une virtuelle qui vit dans
le corps d’une femme que je déteste, paresseuse, faible et très quelconque.
Sans l’autre je ne suis rien. Je reste reconnaissante à cette autre femme
qui est Saoussen Ben Abdallah, le personnage de «Nakhb al Hayet».
Écrit par Neïla Gharbi
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01-02-2009
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